Description
"Marcheur ce sont tes traces ce chemin, et rien de plus; marcheur, il n'y a pas de chemin. Le chemin se construit en marchant. En marchant se construit le chemin, et en regardant en arrière on voit la sente que jamais on ne foulera à nouveau. Marcheur, il n'y a pas de chemin, seulement des sillages sur la mer". Antonio MACHADO
Ce projet est à l’initiative de l’aumônerie catholique qui intervient à la Maison d’Arrêt de LYON-CORBAS. Il convient donc d’abord de préciser l’esprit dans lequel ce projet est mené. Si le chemin emprunté est celui qui mène à St Jacques de Compostelle, il ne s’agit pas d’un pèlerinage religieux. Pour autant cette voie n’a pas été choisie par hasard et l’expérience proposée est bien un pèlerinage au sens d’un travail sur soi, d’un voyage aussi intérieur, d’une expérience spirituelle respectueuse du point où chacun en est, de sa religion ou absence de religion : En outre, c’est un chemin aisément praticable, qui n’exige pas que les participants soient de grands sportifs ; c’est une des principales routes de l’histoire européenne, et qui permet la découverte de chefs d’œuvre culturels (dont le portail roman de l’abbaye de Conques, terme du voyage).
Elle permet une immersion dans la nature de personnes qui en sont privées depuis longtemps. Ce contact favorise une ressaisie de soi-même. C’est un itinéraire touristique aujourd’hui largement fréquenté. Il en résulte une certaine valorisation (mettre ses pas dans ceux de tout le monde ; raconter ensuite aux familles un évènement que celles-ci pourront se représenter plus aisément que la vie carcérale)
De tout temps, ce chemin a été considéré par les hommes, qu’ils soient croyants ou non croyants, comme ayant à voir avec la question de la peine et de la justice. Il est la matérialisation d’un sens donné à la peine
Il s’agit de la première portion d’un des chemins de St Jacques. Le reste de la route pourrait un jour être effectué par leurs propres moyens avec leurs proches par les personnes anciennement détenues. Certains qui ont participé l’an dernier à la première aventure en gardent le projet aujourd’hui.
Le choix a volontairement été pour ce projet de privilégier la durée (10 jours de marche) pour expérimenter vraiment ce que permet ce chemin, et sans voiture accompagnatrice. Nous n’avons que nos propres moyens et ce que nous portons pour rallier Conques depuis Le Puy. Cette fragilité (il suffirait d’un abandon pour tout remettre en question) s’est avérée aussi une force l’an dernier : chacun est allé au bout de lui-même en endurance et en courage, une forte solidarité en est résulté dans le groupe.
C’est l’intuition que l’expérience d’une vie commune conviviale et solidaire, y compris dans l’effort, est de nature à éclairer tout homme quant à la juste manière de se rapporter aux autres, pendant ce type d’expérience, et au-delà.
Il s’agit d’offrir à des personnes détenues l’occasion de découvrir ou de retrouver des aptitudes inhibées par la vie carcérale et pourtant nécessaires pour donner du sens à la peine et préparer un projet de sortie. « Je n’aurai plus peur de sortir après cette expérience » disait un participant de l’an dernier dont la CPIP constatait avec étonnement le changement à son retour.
L’accent sera donc mis sur le vivre ensemble. La simplicité du dispositif vise à susciter l’entraide et une attention sera portée à ce que chacun se sente investi de la responsabilité de l’ensemble du groupe (quant à la fatigue de l’un ou de l’autre, quant à la vaisselle, etc.).
La composition exacte de l’équipe d’accompagnement reste à déterminer. Les candidats à la permission de sortie préparatoire ont été sélectionnés parmi les détenus dont la situation pénale est compatible avec le projet : aménageables, pas encore sortis ni transférés sur un autre établissement. 6 partiront retenus par le juge d’application des peines.
Le projet vise entre autres des personnes qui ont habituellement moins accès aux activités proposées à l’établissement, notamment en raison de la mise à l’écart des auteurs d’infraction à caractère sexuel par l’ensemble des autres détenus. Il n’est pas question de réserver ce projet aux auteurs de telles infractions, mais d’assurer une place à certains qui sont candidats, et de tenir compte, dans le recrutement, des difficultés relationnelles habituellement rencontrées par ces condamnés vis-à-vis des autres.
De même, la participation active antérieure aux activités de l’aumônerie n’est pas un critère exclusif de sélection. L’existence de contact avec un(e) aumônier(e) participant à la marche est cependant souhaitable, mais les aumôniers visitent beaucoup de détenus qui ne participent pas au culte ni aux activités de l’aumônerie.
Le nombre de participants reste de 6 avec un ratio de un accompagnateur par personne détenue. L’expérience de l’an dernier a à cet égard confirmé que c’est le bon nombre. Un trop grand nombre serait difficile à gérer et rendrait plus difficile l’affranchissement des habitudes carcérales, notamment quant aux sujets de conversation qui tournent alors autour de la prison, et quant à l’adoption par chacun d’une posture défensive qui interdit toute authenticité dans les échanges. Inversement, un nombre trop faible prive le projet de sa dynamique communautaire et le réduirait à une promenade touristique. Les gîtes sont d’ores et déjà réservés pour douze personnes.
Quant aux accompagnants, il s’agit de mêler des personnes qui connaissent les personnes détenues ou la détention et d’autres qui sont complètement extérieures. Une diversité des âges permettra de varier les approches et les discussions. Le partenariat avec l’association des amis de St Jacques permet la présence à nos côtés de marcheurs qui connaissent très bien cette portion du chemin et facilite l’appropriation du parcours par les personnes détenues.
Les temps de repos une fois arrivé au gîte seront l’occasion de temps de partage, de relecture, d’approfondissement spirituel en respectant le point où chacun en est, de visite du patrimoine.
L’intérêt de ce projet est de mobiliser les participants et d’éviter autant que faire se peut de les placer en position de « consommateurs ». Aussi une attention particulière sera portée à la préparation en amont.
- L’Education nationale pourrait être associée à cette préparation, notamment dans le cadre de présentations et de recherches d’informations sur les lieux culturels traversés ainsi que sur la faune et la flore.
- Ce peut être également l’occasion d’un lien avec le service médical pour aborder la question de l’alimentation.
- Une première sortie d’une journée à proximité de l’établissement sera une préparation utile et un bon test du groupe.
L’implication des personnes détenues dans la restitution du projet en aval sera également sollicitée :
- Possibilité de filmer et de prendre des photos qui donneraient lieu à un montage dans le cadre de l’atelier vidéo pour une diffusion sur le canal interne ?
- Récit de l’expérience dans le cadre du journal interne de la prison
- Présentation au groupe de l’aumônerie
- Un partenariat avec RCF pourrait aussi comme l’an dernier donner lieu à un reportage sur la marche.
En bref, il s’agit de proposer à des personnes détenues souvent gagnées par une certaine apathie, un séjour axé sur la simplicité, la convivialité et l’intériorité, afin de leur permettre de se ressaisir physiquement et psychologiquement pour trouver un nouvel élan ensuite dans l’exécution de leur peine. Marcher c’est forcément ouvrir un espace intérieur pour aller de l’avant. Le pari est que cette expérience décalée par rapport à la détention contribue à donner un sens à ce qu’il reste à vivre d’incarcération et ouvre un avenir. L’expérience de l’an dernier s’est avéré une réussite à cet égard au-delà de ce que nous aurions imaginé.